CHAPITRE VII
La terrasse est déserte. Les Immortels n’ont pas eu l’idée de placer une sentinelle. Quatre mille ans de sécurité totale leur ont fait perdre le sens des précautions les plus élémentaires. Ils savent que je dispose d’un compensateur de gravité, mais il leur paraît invraisemblable que je puisse m’en servir pour contre-attaquer.
Adana m’a mieux jugé. Pour Karar et Herglon, je ne suis plus qu’un fugitif depuis la seconde où je me suis réfugié dans la brousse. Ils se croient protégés parce qu’ils disposent d’une puissance illimitée, mais ils n’ont jamais dû lutter pour leur vie car le combat est la tâche des androïdes.
Pas la leur.
Un sourire joue sur mes lèvres et je sens en moi toute l’exaltation de la bataille maintenant toute proche. Ma mémoire, enrichie sous l’assimilateur, m’a restitué dès que j’en ai eu besoin un plan du palais supérieur.
Je sais donc exactement où se trouve la pièce où est gardée Adana et comment y parvenir sans prendre trop de risques. Cette pièce est située sur la droite de la salle des sarcophages et je peux y accéder par une bouche d’aération qui prend naissance dans le mur extérieur à peu près à la hauteur de la terrasse.
Dès que je me suis orienté, j’enjambe la balustrade et je me laisse glisser dans le vide avant de tâtonner le long de la muraille car il n’est pas question que je me serve de ma torche éclairante.
Très vite, mes doigts se referment sur les barreaux d’une grille. Voilà l’entrée que je cherche. J’espère que les barreaux ne sont pas scellés dans la pierre.
Non, ils sont soudés à un cadre que je peux facilement enlever. Ouf ! Lourde cette grille et je dois la tenir d’une seule main pendant que je règle mon compensateur de gravité afin de pouvoir me glisser dans l’ouverture que je viens de dégager.
J’y suis. Le temps de remettre la grille en place et je me laisse de nouveau glisser en décrochant ma torche éclairante que je n’allume pas encore.
L’appel d’air est considérable, mais il diminue progressivement au fur et à mesure de ma descente. Me voici au rez-de-chaussée. Il correspond à la salle des sarcophages et à la pièce où Adana est enfermée.
Je m’arrête devant une nouvelle grille…, éclairée. Elle ne donne pas directement dans la cellule où Adana est retenue prisonnière mais dans le couloir par lequel on y accède. Trois androïdes y montent la garde.
Comme je l’ai fait à la hauteur de la terrasse, je détache doucement la grille de son alvéole. Celle-ci, il n’est pas question que je la remette en place. Je vais devoir la lâcher et, en tombant, elle fera un bruit effroyable qui donnera l’alerte.
A la grâce de Dieu ! Juste comme je vais la laisser tomber, j’aperçois Herglon au bout du couloir. Il précède un groupe de trois androïdes du type Markala qui portent un énorme fauteuil flanqué de deux robots métalliques.
Un assimilateur de pensées ! Adana a deviné juste. Je me débarrasse de la grille et je dégaine mon paralysant. Tout de suite, en dessous de moi, le vacarme est infernal et Herglon lève la tête et m’aperçoit dans le carré dégagé de la bouche d’aération.
Avant qu’il n’ait eu le temps de réagir, je balaie le couloir d’un jet de paralysant qui le fige, lui et tous les androïdes qui l’entourent. En même temps, je me hisse par l’ouverture et je saute dans le couloir.
Isolé dans un champ de force, je ne risque pas d’être surpris par-derrière et maîtrisé à l’improviste, mais, de toute façon, le couloir est vide. Herglon s’est sans doute assuré de ne pas avoir de témoin pour amener son assimilateur.
Je m’élance vers lui et je m’agenouille. Pour lui prendre sa bague génératrice de champ de force. Elle sera pour Adana. J’ouvre la porte de la pièce où elle se trouve. L’androïde qui la garde se dresse devant moi, mais je le paralyse, puis je le repousse.
— Lescart !
Adana pousse un cri de stupeur en m’apercevant. Immédiatement, je lui lance la bague que j’ai prise à Herglon. Elle comprend et l’enfile à son doigt.
— Comment as-tu pu ?
— Plus tard les explications.
Je lui donne mon paralysant, puis je coupe un instant mon champ de force pour dégainer mon pistolet.
— Viens. Ne perdons pas de temps.
Dans le couloir, il n’y a toujours personne. Adana sursaute en apercevant Herglon et surtout l’assimilateur.
— C’était pour moi ?
— Tu le demandes ?
Je m’agenouille de nouveau auprès du kaldar, cette fois pour le mettre en état d’apesanteur.
— Qu’est-ce que tu fais ?
— Nous l’emmenons comme otage.
— Pourquoi ?
— Je veux l’échanger contre Tarn.
— Tarn ?
— Il a été paralysé à l’improviste juste après votre entrevue.
— Ils ont fait ça.
La stupeur lui fige le visage et elle secoue la tête.
— Tu ne te rends pas compte, mais ils se sont mis complètement hors-la-loi. Tarn appartenait au Conseil Suprême.
— Quand on se bat, tous les coups sont bons.
— Pas pour nous.
— Ils se sont gênés avec toi !
— Je n’appartiens-pas au Conseil Suprême.
— Peut-être. En attendant, il te faut un compensateur de gravité. Par ici. Suis-moi.
Je suis entré dans ce palais pour la première fois, il y a à peine une demi-journée et, déjà, il m’est aussi familier qu’à Adana qui le fréquente depuis l’Eternité. Je la revois encore me conduisant jusqu’à la salle d’armes où elle m’a remis ma ceinture et ma bague.
La voici, cette salle d’armes. Elle est gardée par deux androïdes, mais, soudain, au bout du couloir, nous apercevons un Immortel.
— Crail, crie Adana.
L’homme lève la tête et il a un mouvement de surprise. Ce qui ne l’empêche pas de s’isoler instantanément dans un champ de force. Après, il me regarde avec une curiosité hostile, puis aperçoit Herglon.
— Mais, qu’est-ce qui vous a pris… le kaldar ?
J’interviens :
— C’est mon prisonnier, mais je suis prêt à le rendre dès que Karar aura libéré Tarn.
Surpris, Crail avance de quelques pas.
— Que veux-tu dire à propos de Tarn ?
— Herglon et Karar l’ont fait paralyser par des androïdes. On l’a frappé dans le dos, par surprise, puis emmené.
— Tu mens.
— Dans ce cas, trouve-le et amène-le.
— Tout de suite.
L’Immortel paraît outré et, comme il s’éloigne rapidement vers le fond du couloir, je lui crie :
— Préviens d’abord Karar, tu gagneras du temps.
Adana n’a pas attendu et elle s’est dirigée vers la salle d’armes, prête à foudroyer les androïdes avec son paralysant s’ils lèvent leurs propres armes. Heureusement, ils ne bougent pas.
Ils ne s’opposent pas non plus à ce que je la suive. Cette salle d’armes est beaucoup plus complète que celle du quartier périphérique et je vais tout de suite décrocher un désintégrateur sur un râtelier spécial.
C’est un très gros fusil ou un petit canon. Il tient du premier par la crosse et du second par sa grosseur. Cependant, il reste maniable car il est pourvu d’un compensateur de gravité.
Une arme redoutable. Je ne m’en suis jamais servi, mais j’en connais le maniement théorique. J’aimerais en déterminer tout de suite la puissance et je suis tenté de nous ouvrir un passage dans de mur du palais. Je le ferais peut-être si Adana ne me jetait tout à coup un autre jouet.
Une sphère de métal bleu qui paraît dotée de vie. Dans la main, elle se gonfle et se rétracte comme si elle respirait. Elle est de métal, mais il est chaud et souple comme un velours. A l’un de ses pôles, un bouton jaune. A l’autre, un rouge.
Pas besoin d’explication. Je sais qu’il s’agit d’une « porte ». Une porte ouvrant sur le temps négatif. Il y en a de plus importantes qui permettent de faire passer d’un temps dans l’autre, de gros véhicules et des régiments d’androïdes alors que celle-ci est individuelle.
Mon cœur se met à battre à grands coups. La porte du temps négatif, c’est aussi celle de l’éternité. Elle est dotée d’un crochet magnétique qui me permet de l’accrocher à mon ceinturon.
Dès que je l’ai fixée, je dis d’une voix que l’émotion rend soudain plus rauque :
— Je l’essayerai dès qu’on nous aura rendu Tarn.
Tarn ! Je l’oubliais. A cause de lui, il n’est pas question que je m’amuse à désintégrer un des murs du palais. J’esquisse un sourire. Malgré l’émotion qui est la mienne, je ne cesse pas de surveiller la porte du couloir, mais personne ne se manifeste.
— Qu’est-ce qu’il fiche ton Crail ?
— Il cherche Tarn. Il ne peut pas admettre une telle traîtrise de la part d’Herglon et de Karar.
— Il n’a sans doute rien vu encore. Je les connais, vos lois. Je sais que la conduite de Karar est inqualifiable. C’est, d’ailleurs, ce qui le rend si dangereux. Maintenant qu’il est entré dans l’illégalité, il est obligé d’aller jusqu’au bout. S’il ne triomphe pas, il est perdu.
— Triompher de quoi ? Ou de qui ?
— Je ne le sais pas encore.
La jeune Selvanienne a un sourire.
— Je ne pensais pas que tu oserais venir à mon secours, Lescart.
— Tu as cru que je pourrais te laisser entre leurs mains ?
— Je n’ai pas imaginé que ça pourrait être possible et je t’avais vu fuir dans la brousse.
— Ce n’était pas une fuite. Je me suis simplement mis à l’abri jusqu’à la nuit. Si j’étais retourné immédiatement dans notre petite maison, on m’y aurait assiégé et je n’aurais plus rien pu faire.
— Tu y es retourné ?
— Dès que la nuit a été tombée. La brousse n’est surveillée qu’à hauteur d’homme. Laol nous attend dans la maison.
— Tu veux dire le Terkan ?
— Oui. Nous avons fait alliance.
— Mais, c’est un sauvage !
— Si nous sommes obligés de vivre durant quelque temps dans la brousse, il nous sera très utile.
— Si nous devons nous réfugier dans la brousse, nous ne serons pas obligés d’y vivre. Nous pouvons aller ailleurs, maintenant.
— Car tu t’imagines que Karar ne nous poursuivra pas dans le temps négatif ?
Elle n’a pas le temps de me répondre car, comme j’entends marcher dans le couloir, je me précipite jusqu’à la porte. Crail revient. Il est seul et paraît bouleversé.
— Tu avais raison, dit-il, mais Karar refuse d’échanger Tarn. Selon lui, Tarn serait un traître. Il a fait cerner le palais. Vous n’avez pas la moindre chance de vous échapper car, désormais, les androïdes se tiendront toujours trop loin pour que tu puisses les atteindre avec des liens magnétiques et, cette fois, ils ne vous lâcheront plus, Adana et toi, jusqu’à ce que vous soyez obligés de sortir de votre champ de force.
— Tu approuves l’attitude de Karar ?
— Il m’a promis que le Conseil Suprême statuera librement sur le sort qui vous sera réservé.
— Un Conseil Suprême dont il aura éliminé tous les membres qui ne partagent pas son point de vue ?
— Oh !
Chez Crail, c’est l’indignation qui l’emporte. Je lève la main pour lui indiquer qu’il peut se retirer.
— Comme tu es venu en parlementaire, tu peux te retirer.
— Toute résistance est vaine, Terrien.
— Où se trouve Karar, en ce moment ?
— Il siège au Conseil Suprême, mais il a massé des guerriers dans les escaliers qui y mènent.
— Très bien.
Il a une dernière hésitation. Je le sens prêt à ajouter quelque chose, mais, finalement, il y renonce et s’éloigne. Adana, qui m’a rejoint, prend mon bras.
— Qu’allons-nous faire ? Tu peux être certain que Karar a pensé au temps négatif et qu’il a envoyé des guerriers de l’autre côté pour nous attendre.
— Je le pense aussi. D’après le plan du palais que j’ai en tête, sous cette salle d’armes, nous devrions trouver une importante réserve d’androïdes.
— Si Karar a disposé tant de guerriers autour du palais et dans les escaliers, elle est vide.
— Donc, nous ne pouvons compter que sur les deux androïdes qui gardent cette salle. Il vaut peut-être mieux que ce soit toi qui les prenne en ton pouvoir.
— Que pourrons-nous faire avec seulement deux Tré ?
— J’ai une idée. Règle-les en même temps sur tes ondes biologiques et sur les miennes.
Surprise, elle me regarde d’un air interrogateur, mais je ne veux rien lui dire car elle s’opposerait sans doute à mon projet car elle est encore trop près de Karar et des siens.
Pendant qu’elle règle les « mémoires » des deux guerriers sur nos ondes biologiques, je vais récupérer trois autres désintégrateurs dans la salle d’armes.
Je sais que les Immortels n’en ont jamais confié à des androïdes. Il existe même une loi qui l’interdit formellement, mais j’ai l’impression que, pour le moment, sur Selva, les lois ne concernent plus personne.
Adana le comprend parfaitement lorsque je tends les armes aux deux guerriers qui, désormais, réagiront aussi bien à ses impulsions mentales qu’aux miennes.
Elle fronce légèrement les sourcils et je lui explique :
— Nous allons foncer dans la salle des sarcophages en poussant devant nous des chariots chargés de grenades pour liens magnétiques. Je ne compte plus paralyser les guerriers comme dans la tour du quartier périphérique car l’effet de surprise ne jouera plus, mais ça les fera reculer, puisque c’est la tactique choisie par Karar.
— Et après ?
— Tu me laisseras faire.
— Je veux savoir.
Pas question de me dérober. Je pousse un soupir et j’explique :
— Une fois dans la salle des sarcophages, nous désintégrerons les murs de façon à ce que la plus grande partie s’effondre et nous profiterons de la confusion qui régnera nécessairement pour fuir en direction de la périphérie.
— Si nous faisions sauter les assises de la salle, une partie du palais risquerait de s’écrouler. Il y aura des morts parmi les Immortels.
— On ne fait pas la guerre en épargnant des vies humaines et c’est Karar qui a fait de nous des hors-la-loi ; c’est lui qui veut à tout prix notre mort.
Pour elle, la décision est lourde à prendre. La vie d’un Immortel est sacrée. Je la laisse un instant et je retourne dans la salle d’armes pour prendre une troisième sphère ouvrant sur le temps négatif.
Lorsque je reviens dans le couloir et qu’Adana la voit accrochée à ma ceinture, elle hausse les sourcils.
— Pour Laol, je dis. Tu as la tienne ?
— Oui.
A son ceinturon. Elle me regarde avec une sourde inquiétude.
— Crail nous a expliqué les mesures que Karar a prises. Vois-tu autre chose pour nous en tirer ?
— Non.
— Alors, en avant. Tu me laisseras faire avec les androïdes. Occupe-toi d’Herglon et tiens-toi prête à chaque seconde à lancer ton compensateur de gravité. Notre vie peut dépendre d’une fraction de seconde.
Protégés tous les quatre par un champ de force, nous fonçons dans la salle des sarcophages. Les quelques guerriers qui s’y trouvaient refluent instantanément vers les portes de sortie.
Les deux guerriers et moi tenons nos désintégrateurs appuyés contre la hanche et, à la main, je tiens une grenade. Je la lance violemment et je réussis à happer deux Tré au moment où ils allaient franchir la porte.
Le terrain est dégagé. Mentalement, j’ordonne aux deux guerriers de prendre position en face de l’escalier conduisant à la salle du Conseil et je crie :
— Feu.
Nos trois désintégrateurs crachent leurs rayons mortels en même temps. L’escalier est comme effacé et nous continuons, ouvrant des brèches béantes dans les murs et en coupant en deux les piliers de soutènement.
Des craquements partout. Dans ce qui reste de muraille, des lézardes commencent à apparaître, alors je relève mon arme pour nous ouvrir un passage légèrement en hauteur.
— Maintenant.
Nous plongeons ensemble dans l’ouverture que nos armes continuent à élargir, puis, en vol, nous nous retournons pour achever notre œuvre.
Toute une aile du palais est en train de s’écrouler et les Immortels qui se trouvaient à l’étage de la salle du Conseil, ou plus haut, ont dû trouver la mort s’ils n’ont pas eu la présence d’esprit de se réfugier dans le temps négatif.
De toute façon, il y a un flottement parmi les guerriers qui encerclent l’édifice. Ils ne reçoivent plus d’ordres, ceux du sol, car ceux qui se tenaient sur la terrasse supérieure ont été entraînés par la chute de l’édifice.
Le désordre est indescriptible et nous en profitons pour nous éloigner de toute la vitesse de nos compensateurs de gravité. Nos deux androïdes, Tré 117 et Tré 844 poussent devant eux les chariots contenant nos grenades et Adana tire derrière elle Herglon, toujours ankylosé et inconscient.
Je me rapproche de la Selvanienne et, parlant à haute voix pour que Laol, qui doit regarder son écran, me comprenne, je dis :
— Tu vas me laisser Herglon et gagner notre petite maison avec les guerriers. Là, tu m’attendras. Ne t’inquiète pas pour Laol, il t’obéira. En ce moment, il nous entend.
— Et toi ?
— Je vais sans doute retourner au palais dès que j’aurai fait parler Herglon car je veux délivrer Tarn.
— Tu vas te faire massacrer.
— S’il est toujours vivant, jamais Karar n’imaginera que j’ose revenir sur mes pas. Quand on se bat, il faut toujours faire le contraire de ce que l’adversaire peut prévoir. Tiens. Voilà la porte du temps négatif que j’avais prise pour Laol. Si vous êtes obligés de vous y réfugier avant mon retour, donne l’ordre aux guerriers de se placer en embuscade et de détruire tous les Immortels qui passeront à leur portée.
— Tous les Immortels ?
— Tant que la grande masse des indécis ne sera pas prise de panique, Karar la maniera comme il le voudra.
Avec un soupir, Adana prend la sphère bleue que je lui tends. Elle a un mouvement des lèvres, mais ce n’est pas le moment. Déjà, j’ai empoigné le kaldar et je plonge vers la première maison qui se trouve en dessous de moi.
Une terrasse. Avant de m’y poser, je fais un léger crochet pour vérifier si toutes les fenêtres sont sans lumière. Oui. Evidemment, compte tenu du nombre des Immortels, je n’avais qu’une chance sur cent ou deux cent mille de tomber sur une demeure habitée.
Dans les rues, en revanche, il règne une grande animation. L’effondrement d’une partie du palais supérieur affole tout le monde et les Immortels se rendent par petits groupes vers le quartier central.
Ils discutent âprement. Ils ont beau être immortels et vivre pour la plupart depuis plus de 4 000 ans, ils réagissent comme de simples mortels.
Traînant Herglon derrière moi, je gagne la verrière et, ici, je ne prends pas le temps de la relever. Je me sers de mon désintégrateur pour m’ouvrir un chemin.
Dès que la verrière a disparu, je me glisse dans l’ouverture avec mon prisonnier. J’ai eu de la chance. Je suis tombé sur une maison de patricien pourvue d’un bloc de régénérescence.
C’est là que je conduis le kaldar et je l’installe dans sa vasque avant d’aller brancher l’absorbeur d’ondes du bâtiment pour être tout à fait tranquille.
A moins d’un miracle, personne ne risque de venir nous déranger et comme Herglon en a au moins pour une demi-heure avant de sortir de son ankylose, je gagne la salle d’information où je branche le visiophone après l’avoir réglé sur les ondes biologiques d’Adana dont j’ai retenu les coordonnées.
Son image apparaît immédiatement sur l’écran. Elle vient de pénétrer dans la petite maison du quartier périphérique et, pour le moment, elle dévisage Laol avec curiosité. Lui aussi la regarde. Il a confiance en elle, mais ne peut s’empêcher de jeter des regards inquiets du côté des deux guerriers.
Finalement, Adana demande :
— Tu as entendu ce que Lescart a dit ?
— Oui. Si c’est nécessaire, je vous conduirai dans la brousse et je vous y cacherai.
— A moins qu’il ne nous rejoigne ici.
— Lescart est un grand chef.
J’interviens :
— Pour moi, tout va bien. Vous ne pouvez pas me voir car j’ai branché l’absorbeur d’ondes. Pour le moment, Herglon se trouve dans le bloc de régénérescence. Dès qu’il sera sorti de son ankylose, je l’interrogerai à propos de Tarn et nous irons le délivrer. Personne ne t’a vue entrer dans la maison, Adana ?
— Non. Karar avait dû prendre tous les androïdes disponibles pour les masser autour du palais supérieur. Dans ce temps-ci et dans le temps négatif.
— Je crois aussi. Dès qu’Herglon sera revenu à lui, je l’amènerai ici, de façon que tu puisses entendre ce qu’il me dira.
Le corps du Kaldar baigne entièrement dans le liquide ambré. Herglon est toujours immobile, mais il a dû reprendre conscience. J’espère que l’attitude de Karar qui n’a pas hésité à le sacrifier l’aura fait réfléchir.
S’il a entendu, Crail ! Je ne sais pas exactement à quel moment il a perdu connaissance, mais ça doit être au moment où Adana l’a traîné dans la salle des sarcophages. Les guerriers ont dû le viser et il n’avait pas de champ de force.
Voilà. Il commence à se détendre. Comme il se trouve dans un bloc de régénérescence, il ne ressent pas l’effroyable douleur qu’a éprouvée durant quelques secondes Laol dans le buisson.
Je le regarde ironiquement.
— Alors, Kaldar ?
Dans son regard monte une sorte de panique. Cela prouve qu’il a entièrement récupéré.
— Sors de là, je dis. Je t’interrogerai en bas. Pas un geste imprudent. Tu sais que je ne te raterai pas.
A la main, je tiens une grenade pour liens magnétiques. Il a un hochement de tête, puis lentement, il sort de la vasque.
— Que vas-tu faire de moi, Terrien ?
— Sais-tu que Karar a refusé de t’échanger contre Tarn ?
Il baisse la tête sans répondre.
— Tu le sais ou pas ?
Tout son corps est pris d’un tremblement et il bredouille :
— Je le sais.
Sa réponse ne me satisfait pas. Elle cache quelque chose. Je l’empoigne par son justaucorps et je le secoue.
— Ça ne t’a pas surpris ? Qu’est-ce que tu essayes de me cacher.
Toujours la même panique dans son regard et comme il reste silencieux, je le frappe. Violemment, d’un revers de la main. Il trébuche, puis me crie :
— Tarn est mort.
— Comment ?
— C’est Karar…
Pas besoin d’explication. Je comprends. Karar n’avait pas le choix. Du moment qu’il s’était emparé de Tarn par surprise, traîtreusement, comme il appartenait au Conseil Suprême, il ne pouvait plus lui permettre de témoigner.
C’est excessivement grave. Le meurtre d’un Immortel est le délit majeur de la civilisation de Selva. Un crime inexpiable. De la tête, j’indique la porte au Kaldar :
— Descends dans la salle d’information.